Le monde connaît un nouveau géant !

SpaceX, la compagnie privée fondée par Elon Musk en 2002, a enfin fait décoller la Falcon Heavy : une fusée surpuissante annoncée depuis 2011 et qui aura su se faire attendre. Ce lanceur que beaucoup résument à trois Falcon 9 accolées les unes aux autres est en fait encore bien plus complexe, incroyable et impressionnante. Au-delà du lanceur, ce qui aura retenu l’attention du public et de la presse, c’est une charge utile des plus curieuse : une voiture, une vraie, la Tesla Roadster personnelle de M. Musk.

Le 6 février 2018, le pas de tir historique 39A du Kennedy Space Center, qui a connu les vols des missions Apollo ainsi que la plupart des décollages de navettes, accueillait le lanceur lourd de SpaceX : la Falcon Heavy. Ce vol inaugural introduisait beaucoup de nouveautés pour cette compagnie comme la gestion des boosters, qui implique une séparation contrôlée pour ne pas endommager l’étage central (ne mentez pas, vous avez déjà entrainé la perte de votre fusée lors de la collision nous désirée d’un booster dans KSP ^^), mais aussi des vitesses, forces et vibrations très différentes, entrainant tout un lot de contraintes majeures et encore méconnues par les équipes, sur l’ensemble du lanceur. Toutes ces innovations expliquent en partie le retard du vol sur lequel nous reviendrons mais il permet surtout de mieux appréhender pourquoi Elon Musk annonçait, encore quelques heures avant le décollage, qu’une probabilité de réussite complète n’excédait pas les 50%, selon lui.

 

Photo du décollage prise par Brady Kenniston for NASAspaceflight.com avec son autorisation

Entrons un peu plus dans les détails du lanceur ! La Falcon Heavy a une masse au décollage de près de 1 420 tonnes pour une hauteur de 70m. Elle dégage une poussée maximale au décollage de 22 819kN, permettant à cet édifice de devenir l’actuelle fusée la plus puissance en service ! Cependant, la fusée n’utilise pas ses 27 moteurs Merlin 1D a pleine puissance au décollage : les 9 moteurs de l’étage principal sont réduits en poussée pour que celui-ci, qui dispose de la même configuration et d’autant de carburants que les boosters, puisse resté allumé plus longtemps, après séparation des Cores latéraux. Si on compare un peu ce lanceur avec sa petite sœur dont il est issu, la Falcon 9, on remarque que la Falcon Heavy peut envoyer jusque 63,8t en orbite basse terrestre pour ‘‘seulement’’ 22,8t pour la F9. En ce qui concerne la GTO, l’orbite de transfert géostationnaire, la Falcon Heavy garde une capacité de 26,7t contre 8,3t. Ces quatre valeurs marquent la masse maximale que peuvent envoyer ces deux fusées si aucune partie n’était récupérée : on appelle ces versions « Expandable ». Cependant vous n’êtes pas sans savoir que SpaceX sait maintenant récupérer des étages sur la terre ferme ou sur des barges dans l’océan (ou même parfois directement dans l’eau, pour des tests !). Si on prend en compte ces récupérations qui consomment du carburant pour assurer le retour, la Falcon 9 chute à 5,5t et la Falcon Heavy à 8t, en GTO.

 

 

Photo du décollage

Ces baisses peuvent paraître très importantes, surtout pour la nouvelle Falcon Heavy, mais elles font partie intégrante du concept Falcon réutilisable. En effet, si SpaceX a décidé de construire ce nouveau lanceur, ce n’est pas tant pour pouvoir envoyer plus de 60t en orbite basse, même si cela présente une capacité maximale confortable, mais plutôt pour pouvoir toujours récupérer les premiers étages de ses lanceurs, une perspective économique et logistique qui est chère à l’entreprise. En effet, la version Block 5 du premier étage de Falcon 9 est bientôt prête à entrer en service, et d’après l’agence privée américaine, ces boosters seront réutilisables des dizaines de fois et jusqu’à 100 vols par unité. Rappelons que le premier étage est de loin la partie la plus chère du lanceur et pouvoir la récupérer peut vite devenir un formidable atout économique dont seul SpaceX fait l’expérience à l’heure actuelle, prenant une confortable avance sur ces domaines lourds en expertise et savoir-faire.

 

Photo rapprochée du décollage prise par Brady Kenniston for NASAspaceflight.com avec son autorisation

Pour en revenir un peu plus en détail sur ce vol inaugural de la Falcon Heavy, celui-ci était initialement prévu pour… Décembre 2012 ! En avril 2011, Elon Musk présentait les projets futurs de sa société dans une conférence de presse à Washington et il avait explicitement évoqué que son nouveau lanceur sera sur le pas de tir d’ici la fin de l’année 2012. Comme vous le constater et comme vous l’aurez sans doute remarqué à plusieurs reprises si vous connaissez un peu le phénomène Musk, ce vol a connu un ‘’petit’’ retard. Cela s’explique par plusieurs paramètres : tout d’abord, l’entreprise n’avait tout simplement pas assez de boosters de Falcon 9 près pour former une Falcon Heavy sans perdre trop d’argent et de temps sur les contrats engagés. En parlant d’économie, la société en était encore à ses débuts : le premier vol de Falcon 9 était en juin 2010. L’autre raison majeure repose sur le manque d’expérience de la jeune entreprise, à cette époque, face à ce challenge de taille. En plus de n’avoir encore jamais réussi la récupération d’un booster (cette prouesse technologique arrivera en 2015 avec le vol OrbComm OG2), les fusées Falcon n’en étaient encore qu’à leurs premières versions et allaient connaître de nombreuses améliorations par la suite, dont dépendent aujourd’hui le succès des récupérations. Chaque année, le public attendait avec impatience la Falcon Heavy de SpaceX et c’est sur la fin de 2017, que nous avons pu voir pour la première fois une preuve que le lancement était en réelle approche : les photos du lanceur dans le hangar d’assemblage.

 

Photo de la Falcon Heavy sur son pas de tir le matin du lancement

Quelques jours après, les évènements se sont enchaînés. On nous annonce que la charge ‘’utile’’ du vol inaugural sera la voiture Tesla Roadster d’Elon Musk avec un mannequin portant la combinaison de vol de SpaceX. Certains estiment ce choix très discutable mais, également président de la marque de voiture électrique Tesla, Musk réalise un tour de force marketing difficile à égaler. Ce chef d’entreprise déluré avait également annoncé vouloir envoyer la chose la plus stupide, et ce n’est pas sans précédent : rappelons que pour le vol inaugural de la capsule Dragon, SpaceX avait envoyé une meule de fromage, qui a été récupérée et dégustée après récupération de la capsule ! Il ne faut pas toutefois pas éluder que pour ce vol du 6 février, SpaceX avait proposé à la NASA un envoi de satellites gratuits, ce qui s’est soldé par un refus, en partie pour éviter une compétition NASA SLS / SpaceX Falcon Heavy mais également en connaissance du risque d’échec non négligeable. 3 tests de remplissage plus tard, l’entreprise tente un allumage statique des plus impressionnants, le 24 janvier, ce qui marque le début de la cristallisation de toutes les attentes et de la ferveur médiatique : le compte à rebours définitif était lancé. Le lancement de la Falcon Heavy connaitra quelques nouveaux reports et sera annoncé avec davantage de certitude : ce sera le 6 février 2018 !

 

Photo du décollage sur laquelle on voit très bien la manœuvre de Gravity Turn

Venons-en au vol, riche en évènements ! Le décollage était prévu initialement à 19h30 (heure française) et la fenêtre de tir devait durer 2h. Cependant des problèmes de vents en altitude implique de reporter le vol et l’horaire glisse : 20h30, 21h00, 21h10, il devient de moins en moins sûr qu’un décollage ait lieu le 6, le lendemain demeurant une fenêtre potentielle. Finalement la nouvelle tombe, le décollage aura lieu à 21h45 après un allongement de la fenêtre à 22h30 si nécessaire. Les réservoirs commencent à se remplir et les voyants restent au vert pendant que les autorisations et validations s’enchainent sans heurt. Le décompte final est lancé : 5…4…3…2…1…Allumage des 27 moteurs ! Et deux petites secondes stressantes plus tard, les pinces relâchent le lanceur qui s’envole vers le ciel. La Falcon Heavy effectue une première phase de vol magnifique avec une météo des plus flatteuses, puis les deux boosters latéraux se séparent et l’étage central continue sa route pendant encore trente petites secondes. Pendant ce temps, les deux boosters se sont retournés et ont rallumés 3 moteurs pour revenir vers Cape Canaveral. Alors que le second étage prend le relai, l’étage central effectue un premier allumage de 3 moteurs pour ralentir un peu et viser correctement la barge OCISLY (Of Course I Still Love You). La coiffe est ensuite séparé à T+3:49 et trois minutes plus tard, les trois boosters rallument à quelques secondes de décalage les 3 mêmes moteurs pour ralentir et éviter de brûler dans l’atmosphère.

 

Atterrissage synchronisé des deux boosters latéraux

Huit minutes après le décollage, ce sont donc les deux boosters latéraux qui atterrissent en premier, aux LZ1 et LZ2 (Zones d’atterrissages de SpaceX à Cape Canaveral). Ce double atterrissage était très impressionnant car totalement synchronisé, en plus d’être une première. Sur des vidéos plus lointaines, on voit même que le premier booster ‘’attend’’ le second. Ce ralentissement s’explique par une manœuvre que l’on peut rapidement apercevoir sur les vues rapprochées des boosters. On voit un seul moteur allumé au début mais quelques secondes après, deux autres moteurs s’enflamment avant de se rééteindre, se rallumer et s’éteindre à nouveau. SpaceX n’avait jamais réalisé un atterrissage de ce type avant mais s’était justement entrainé sur le dernier vol de Falcon 9. Cela permet de considérablement réduire la durée pendant laquelle le propulseur doit décélérer, et donc de limiter les pertes par gravité : SuicideBurn, vous avez dit ? 😉

 

 

Vue des LZ 1 et 2 par le satellite Deimos 2 de Deimos Imaging, an UrtheCast Company avec leur autorisation

Le booster central a également allumé 3 moteurs quelques secondes après les boosters latéraux pour atterrir sur sa barge. Cependant, au moment prévu de l’atterrissage, les caméras sont passés d’une vue propre du plateau et de l’océan à un immense panache de fumée, image figée. SpaceX a communiqué quelques heures après le déroulé de l’incident : ce Center Core s’est en effet abimé dans l’océan à 480km/h à quelques 100m de la barge. L’étage n’a évidemment pas survécu et l’agence va continuer d’étudier les données ainsi que la barge pour comprendre le problème. Le principal disfonctionnement évoqué serait un manque de carburant d’allumage : le moteur Merlin 1D utilise un mélange de triéthylborane et triethylaluminium qui forme un carburant pyrophorique et c’est cette propriété de combustion par « simple mélange » qui allume le moteur. Ici, il n’y aurait pas eu assez de ce mélange et un seul moteur ne pouvait fournir la poussée nécessaire à l’annulation de la vitesse en vue d’un atterrissage propre.

 

Vue du Starman pendant son départ de la Terre

De son côté, le second étage a continué son travail pour mettre la voiture sur une orbite excentrique terrestre. Cet étage a stationné six heures en orbite avant de rallumer son unique moteur Merlin 1D Vac pour propulser la Tesla avec le Starman, mannequin équipé de la combinaison. Cette Tesla, qui portait sur sa base le nom de 6000 employés de SpaceX gravés, a été accélérée jusqu’à atteindre une orbite héliocentrique ayant pour périgée la Terre et pour apogée la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter. Une si longue attente en orbite aurait pu causer de graves problèmes au second étage. Le froid spatial pouvait congeler le kérosène RP-1 tandis que le vide aurait pu causer une évaporation de l’oxygène liquide. Cependant aucun souci technique n’a été noté et Starman est maintenant en route pour l’espace profond ! Par ailleurs le carburant de l’étage a été utilisé intégralement, plutôt qu’un arrêt précis pour viser une apogée donnée : il n’est pas aisé de comprendre ce qui a motivé cette décision, qui fait passer l’aphélie de l’orbite de Mars, la cible, à un peu plus haut, sans toutefois atteindre l’orbite de Cérès. On peut légitimement supposer que l’occasion était belle de tester l’ensemble à son maximum et d’évaluer jusqu’où le DeltaV saurait emmener la Tesla et son occupant !

 

Voici un résumé de toutes les informations du vol sous deux formes différentes :

 

Le lancement inaugural de la Falcon Heavy est donc un succès quasi-total. Elon Musk a annoncé que SpaceX allait maintenant se concentrer principalement sur sa nouvelle grosse fusée : la BFR. On terminera par remarquer que ce vol a attiré plusieurs millions de personnes, de plus en plus nombreux à s’intéresser au spatial : la personnalité sans limite ni filtre de Musk n’y est certainement pas pour rien, de ses annonces fantasques à ses réalisation concrètes toujours plus innovantes, difficile de damer le pion à ce personnage devenu central dans la course à l’Espace !

Pour (re)voir le lancement, cliquez sur le lien ici : https://www.youtube.com/watch?v=wbSwFU6tY1c

Et pour assister au départ de Starman, c’est là : https://www.youtube.com/watch?v=aBr2kKAHN6M

 

Sources : SpaceX, Elon Musk

 

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