Décollage de It’s a test
Le 21 janvier 2018 à 2h43 (heure française), RocketLab lançait pour la seconde fois son lanceur Electron depuis la Nouvelle-Zélande. Cette fusée légère de 1,2 mètres de diamètre et 17 mètres de haut a décollé pour un second vol de test après l’échec partiel du 25 mai 2017. Sur ce premier vol nommé It’s a test, la compagnie américaine avait lancé une fusée sans charge utile, simplement pour tester le lanceur et montrer au monde entier qu’un nouvel acteur était de la partie. Malheureusement un problème de configuration d’une radio sur le second étage a compromis l’ascension et le lanceur n’a pas atteint l’orbite. Ce vol à toutefois permis aux équipes de constater que le premier étage d’Electron a réalisé un décollage et une trajectoire exemplaire. Ce second vol nommé Still Testing, emportait quatre petits satellites qui seront décrits plus loin.
Un lanceur avec de nombreuses particularités
Test statique du moteur Rutherford
Electron est propulsé par des moteurs Rutherford. Ce nom de moteur vient du physicien néo-zélandais à l’origine de la découverte d’une particule subatomique nommée électron. On compte un total de dix moteurs Rutherford sur la fusée de RocketLab. En effet le premier étage est propulsé par neuf de ces réacteurs tandis que le second étage en utilise un seul qui possède une tuyère adaptée pour le vide spatial. L’espace étant (quasiment) vide, les gaz sortants du moteur ont besoin d’être plus détendu pour s’approcher de la pression ambiante et donc maximiser la poussée. Le moteur Rutherford qui a subi de nombreux tests au sol avant les lancements de It’s a test et Still Testing a donc été mis en avant très vite avec ce nombre important de réacteurs qui réduit les coûts en augmentant les volumes. L’autre spécificité de ces moteurs vient de leur méthode de fabrication. En effet, contrairement à des moteurs Vulcain (Ariane 5 et 6) ou Merlin (Falcon 9 et Heavy) qui sont construits grâce à de grandes machines industrielles, le moteur Rutherford est en grande partie imprimé en 3D. Cette méthode d’impression métal rend la fabrication des moteurs plus rapide et moins chère, et potentiellement plus fiable en maximisant les pièces d’un bloc, même avec des géométries les plus complexes et impossible à obtenir par usinage conventionnel.
La deuxième différence majeure de ces moteurs par rapports à ceux auxquels nous sommes généralement habitués, c’est le moyen d’acheminement des carburants jusqu’à la chambre à combustion. La plupart des moteurs actuels utilisent ce qu’on appelle en ingénierie aérospatiale des turbopompes. Ces dernières sont utilisées pour accélérer les carburants et les pressuriser avant d’entrer dans la chambre de combustion. Une turbopompe est mise en rotation par un générateur de gaz qui va faire brûler du carburant dans une première chambre à combustion. Les gaz accélérés par cette combustion sont ensuite dirigés vers une turbine avant d’être éjectés par le(s) pot(s) d’échappement. C’est cette première turbine qui va faire tourner les deux autres turbines qui acheminent le carburant vers le moteur. Cependant, Electron n’utilise pas ce système mais en utilise un qui n’a encore jamais été exploité sur des fusées orbitales : des pompes électriques. Pour faire simple, le lanceur emporte des batteries qui vont faire tourner des moteurs électriques et c’est grâce à la rotation rapide de ces moteurs que les ergols sont amenés dans la chambre à combustion principal.
Moteur Rutherford
Malgré sa petite taille, le moteur Rutherford est très compétitif par rapport aux autres moteurs de fusée actuels. Pour mesurer l’efficacité d’un moteur et d’un mélange, on utilise un paramètre appelé impulsion spécifique ou Isp, mesuré en secondes. L’Isp d’un moteur correspond à la durée pendant laquelle celui-ci peut fonctionner avec 1kg d’ergols et avec une poussée de 9,8N (force équivalente à la force gravitationnelle appliqué sur un poids de 1kg sur Terre). Pour le moteur Merlin 1D de SpaceX, on obtient une Isp de 311 secondes et le moteur F-1 de la gigantesque SaturnV atteint les 265 secondes. Le moteur Rutherford, de son côté, arrive à près de 303 secondes. Cette durée est impressionnante et est en grande partie due aux pompes électriques. En effet, Rutherford n’a pas besoin de ‘gaspiller’ du carburant dans le générateur de gaz et peut donc se concentrer sur la poussée. Sur la vidéo de lancement (voir plus loin dans l’article), on peut voir que le deuxième étage largue ses batteries vides. Cette manœuvre permet d’alléger l’étage et donc lui fournir une meilleure performance.
Second étage du lanceur Electron
La dernière spécificité du lanceur Electron est la nature de ses réservoirs. En effet, là où des lanceurs comme Ariane 5 ou Falcon 9 utilisent des réservoirs métalliques, RocketLab a décidé encore une fois d’innover. Les réservoirs de la petite fusée sont fabriqués avec des matériaux composites comme du carbone tissé. L’intérêt de ce type de réservoirs est dans un premier temps leur masse : les matériaux composites sont en effet beaucoup plus légers que des métaux. En plus de cette différence, le carbone isole très bien de la chaleur et c’est pour cela que la compagnie peut se permettre d’avoir une fusée entièrement noire sans risque de surchauffe du carburant, une problématique qui avait impliqué les modifications de peintures des premières SaturnV. Il et en effet nécessaire d’anticiper la chauffe des ergols et de les limiter autant que possible, car cela réduit leur densité, entrainant des pertes par évents, et le réservoir pourrait ne plus contenir assez de carburant pour que le lancement atteigne son objectif.
Un lancement de nombreuses fois repoussés
Electron sur son pas de tir
Le vol StillTesting était initialement prévu pour le 8 décembre 2017 mais différents problèmes ont forcé la société a repoussé le lancement. La première raison de report du vol est la présence de vents en altitude trop rapides. Quelques heures avant tout lancement de fusée, des ballons sondes sont lâchés pour étudier les vents d’altitudes. Si ceux-ci sont trop violents, le lancement devra être repoussé car ils vont rendre instable la fusée une fois qu’elle arrivera dans cette zone. Le 8 décembre, le lancement a donc connu un premier report de 24h pour cause de vents en haute altitude. Le lendemain, nouveau report pour la même raison et ce jusqu’au 12 décembre.
Le 12 décembre les vents en altitude s’étaient calmés, il faisait un grand soleil et une très belle température sur le pas de tir de RocketLab, dans l’ile du Nord de la Nouvelle-Zélande : une journée parfaite pour un lancement. C’est ce que tout le monde se disait mais à T-2 secondes avant le lancement, alors que les moteurs venaient de s’allumer, l’ordinateur de bord d’Electron détecte une anomalie sur le lanceur et annule le lancement qui sera reporté encore une fois. Pour comprendre ce nouvel avortement, il est important de détailler légèrement les procédures post-lancement :
Lancement du 12 décembre annulé juste après l’allumage des moteurs
Quelques heures avant le décollage, les réservoirs d’Electron commencent à être remplis en oxygène liquide et en RP-1 (kérosène très raffiné) refroidi. Etant que ces deux carburants sont froids mais que l’intérieur des réservoirs est chaud, les ergols vont commencer à bouillir et à s’évaporer le temps que les réservoirs refroidissent. Pendant cette phase et pour éviter que ces derniers n’explosent à cause d’une surpression, une petite valve est ouverte pour que les gaz sous pression et l’air contenu dans les réservoirs puissent s’échapper. Si vous avez déjà vu un lancement de SpaceX, vous aurez sûrement remarqué de grands nuages de fumées sur les côtés du lanceur. C’est en fait la vapeur d’eau contenue dans les réservoirs ainsi que celle à la sortie de la valve qui se condense au contact des carburants cryogéniques et qui forme ce grand panache. Ce qui s’est passé le 12 décembre 2017 est un problème lié à cette procédure de ‘venting’. En effet, il faisait très chaud en Nouvelle-Zélande ce jour-ci et cette hausse de température à commencer à réchauffer le carburant dans les réservoirs via les valves. Peu avant le lancement, l’ordinateur de bord a donc détecté une température anormalement élevée des ergols et à décider d’annuler le lancement. Si vous souhaitez voir cette annulation assez spectaculaire (les moteurs se sont allumés et ont été éteints une fraction de seconde après) c’est juste ici : https://www.youtube.com/watch?v=DnpJj6DhweU .
A la suite de ce nouvel échec temporaire, le lancement a été décalé jusqu’à 2018. En effet le problème du 12 décembre n’a été découvert que le lendemain et le 15 une anomalie sur l’alimentation en électricité du pas de tir a été découverte. Cette anomalie a été réparé le 16 mais il ne restait plus qu’un jour avant la fermeture de la fenêtre de tir et RocketLab a donc pris la décision de reporter le lancement à l’année suivante. La nouvelle fenêtre de 9 jours s’est ouverte le 20 janvier 2018. Ce même jour, la fusée était en place sur son pas de tir mais des vents en altitude ainsi qu’un bateau dans la zone maritime réservée au lancement ont compromis le vol qui a été à nouveau reporté au lendemain. Décidemment… On arrive donc au 21 janvier, jour pendant lequel toutes les conditions de lancement ont été réunies pour le lancement de la mission Still Testing qui s’est avéré être un véritable succès.
Quatre satellites et un étage secret
Pour ce second vol de test, RocketLab a décidé, avec l’accord des sociétés clientes, d’envoyer trois satellites commerciaux en orbite. Ceux trois satellites font parti de deux familles différentes. La première se nomme Dove et la seconde Lemur-2.
Photo de deux satellites Dove peu de temps après leur largage depuis l’ISS
C’est donc un satellite Dove qui a décollé à bord d’Electron pour rejoindre la constellation du même nom, constellation opérée par la compagnie californienne Planet. L’objectif de cette entreprise est d’imager la Terre rapidement à des fins commerciales. Certains satellites Dove ont été lancés lors de lancements précédents, à partir de 2013 tandis que d’autres ont eu la chance d’être larguées depuis l’ISS et ont donc obtenu leur photo souvenir comme celle ci-contre. Les satellites Dove pèsent environ 5kg et se présentent sous la forme de CubeSats 3U. Ils sont équipés d’imageurs télescopiques pouvant effectuer des images en noir et blanc, couleurs et dans l’infrarouge proche avec une résolution au sol de 3 mètres. Si vous vous souvenez, quatre de ces satellites avaient décollés à bord du vol indien PSLV C40 sous le nom de Flock-3p’ (article parlant de ce lancement ainsi que d’un lancement chinois : https://kerbalspacechallenge.fr/2018/01/14/double-lancement-chinois-et-indien-en-un-jour/ ).
Vue d’artiste d’un satellite Lemur-2 en orbite
Ce sont ensuite deux satellites Lemur-2 qui ont été placés sur orbite par Electron pendant ce vol. Ces nouveaux arrivants permettront d’agrandir leur constellation de mesure de l’atmosphère pour améliorer les prévisions météos ainsi que le trafic maritime opérée par la compagnie Spire. Lemur-2 a été inauguré en 2015 avec quatre premiers satellites lancés par un PSLV et elle compte aujourd’hui 61 CubeSats 3U fonctionnels. En effet, en plus de ces 61 satellites, 12 ont rencontré des problèmes : deux n’ont pas réussi à se déployer en orbite et dix autres ont été perdus lors de l’échec du lancement de Soyuz de novembre 2017. Les Lemur-2 sont habituellement largués par des fusées indiennes PSLV et des Soyuz russes mais aussi par des cargos américains Cygnus après que ces derniers aient ravitaillé l’ISS. Les deux charges utiles de Lemur-2 sont SENSE et STRATOS : le premier est dédié au trafic maritime et le monitoring en servant de relais entre les bateaux en mer et les stations au sol. De son côté, STRATOS étudie l’atmosphère en mesurant l’occultation des signaux GPS. Suivant comment Lemur-2 reçoit le signal de tel satellite GPS, il pourra calculer la température, la pression et l’humidité de l’atmosphère à telles ou telles altitudes. Quatre de ces satellites ont également décollés à bord de la mission PSLV C40 (lien au-dessus).
Humanity Star à côté de Peter Beck
Le PDG de RocketLab, Peter Beck a annoncé trois jours après le lancement qu’un quatrième satellite était présent pendant ce vol. Ce satellite nommé Humanity Star a été crée par la société américaine responsable du lancement. Ce satellite en forme de sphere géodésique est composé de 65 miroirs très réfléchissants. Humanity Star est en rotation rapide sur lui-même pour créer un flash lumineux répété visible depuis le sol. Ce satellite est visible depuis n’importe quel point sur Terre et met 90 minutes pour réaliser une orbite. Cette sphère restera 9 mois en orbite et sera peut-être renouvelé par la suite. Voici l’explication que donne Peter Beck à Humanity Star :
‘’Depuis des millénaires, les Hommes se sont concentrés sur leurs vies et problèmes terrestres. En tant qu’espèce, nous ne regardons les étoiles et ne comparons que rarement notre place dans l’univers à un minuscule grain de poussière dans l’immensité du tout.
L’humanité est une chose finie et nous ne serons pas là pour toujours. Pourtant face à cette insignifiance presque inconcevable, l’humanité est capable de grandes et belles choses quand nous reconnaissons que nous ne sommes qu’une même espèce, responsable de la sécurité de chacun, et de notre planète, tous ensemble. L’Etoile de l’Humanité (Humanity Star) est là pour nous rappeler tout ceci.
Peu importe où vous êtes dans le monde, riche ou pauvre, en conflit ou en paix, tout le monde pourra voir la brillante, clignotante, Etoile de l’Humanité orbiter la Terre dans le ciel de la nuit. Mon espoir est que chaque personne regardant l’Etoile de l’Humanité regardera vers le passé de l’expansion de l’Univers, ressentira en lui la connexion entre nos endroits et pensera un peu différemment à propos de leurs vies, actions et ce qui est important.
Attendez que l’Etoile de l’Humanité soit au-dessus de vous et amenez les personnes que vous aimez dehors pour la regarder et réfléchir. Vous sentirez peut-être la connexion au plus de sept milliards d’autre personnes sur cette planète avec qui nous partageons ce voyage’’ Peter Beck
Kickstage vu depuis le second étage
Pour ce vol, RocketLab a également pu tester leur étage supérieur (Kickstage) propulsé par un petit moteur Curie. Le but de cet étage est de pouvoir modifier l’orbite finale et ainsi larguer des satellites sur des orbites différentes malgré le fait qu’ils aient été lancés sur un même vol. Ce Kickstage permettra de faciliter la mise en place de constellation de satellites et garantira également de rendre utilisable plus rapidement les satellites lancés. Cet étage possède son propre système de contrôle, ses propres antennes, son système électrique dédié et des petits moteurs à azote pour s’orienter. Il peut porter au maximum 150kg de charge utile : masse maximale que peut envoyer Electron sur une orbite héliosynchrone. Le Kickstage a été un succès total et a pu circulariser l’orbite des satellites Lemur-2 après avoir largué le CubeSat Dove. Après sa mission, ce petit étage se désorbite pour éviter d’augmenter le nombre de débris en orbite. Cela constitue un précieux atout du lanceur Electron, qui va fréquemment faire l’objet d’envois multiples : le Kickstage devrait convaincre quelques clients !
RocketLab a donc un premier lanceur fonctionnel et déjà ouvert au commerce. Il vient de montrer au monde qu’Electron est paré à lancer les CubeSats de n’importe qui. Ce lanceur plein de nouveautés technologiques permet aussi de faire entrer la Nouvelle-Zélande dans le monde du spatiale (même si le QG de RocketLab est aux Etats-Unis) en effectuant leurs lancements depuis cet archipel. Souhaitons bonne chance à cette jeune entreprise et espérons que leurs prochains lancements seront aussi remplis de succès.
Vidéo du lancement (largage des batteries du second étage à 21:35) : https://www.youtube.com/watch?v=eg5234BOED8
Sources : RocketLab, HumanityStar
Passionné d’ingénierie et d’aérospatiale.
Rédacteur actu spatiale officiel de KSC.