Archive for juillet, 2018

Un jour, deux lancements, quatorze satellites

samedi, juillet 28th, 2018

Mercredi dernier, le 25 juillet 2018, un évènement assez rare dans le domaine aérospatial a eu lieu : Deux lancements à pas moins de 14 minutes d’écart. En marge de cette coïncidence, on se retrouve naturellement avec deux charges utiles en transit vers leurs orbites en même temps, ce qui mérite d’être souligné. Quels sont ces charges me demandez-vous ? Il y avait donc dix satellites Iridium NEXT lancés par une Falcon 9 de SpaceX et quatre Galileo lancés par une Ariane 5 d’Arianespace.

 

Ariane 5 VA244 au court de son vol pour aller se mettre en orbite moyenne. Crédits : Arianespace

 

VA244

La première fusée de ce jour à décoller était donc l’Ariane 5 européenne. Cependant ce lancement n’était pas un vol classique, il marquait la fin d’une ère et montrait que l’arrêt de l’utilisation de ce lanceur était proche. En effet, c’est la dernière Ariane 5 version ES qui a décollé lors du vol VA244. Qu’est ce qu’une Ariane 5 ES ? C’est tout simplement une Ariane 5 possédant un second étage dit EPS (Etage à Propergols Stockables) en opposition à l’Ariane 5 ECA qui, elle, utilise un second étage ESC (Etage Secondaire Cryogénique). La différence entre ces deux seconds étages se voient au niveau de leurs ergols et donc des moteurs. L’EPS utilise des ergols hypergoliques, en l’occurrence du monométhylhydrazine (MMH) et du peroxyde d’azote (N2O4). Ces deux carburants ont la particularité chimique de s’enflammer sur un simple contact, ce qui le rend à la fois très pratique car il n’y a pas besoin de mécanisme d’allumage dans le moteur, mais c’est en même temps un mélange très dangereux en cas de fuite. Le moteur de l’EPS était l’Aestus, réacteur allemand avec la capacité d’être rallumé plusieurs fois et pour un temps cumulé de combustion de 1100 secondes (environ 20 minutes).

 

Etage EPS du vol VA244. Les sphères jaunes contiennent les ergols et les sphères noires contiennent de l’hélium liquide qui sert à pressuriser les réservoirs jaunes pour propulser les carburants dans le moteur Aestus qui ne possède pas de turbopompes. Crédits : Arianespace

 

Ainsi le vol VA244 marquait la fin de l’utilisation de ce moteur Aestus, de cet étage EPS et de l’Ariane 5 ESC. Logiquement, ce vol est donc le dernier à ne pas utiliser les bras cryogéniques du pas de tir. Effectivement ces bras ne servent qu’à remplir le second étage ESC en oxygène liquide et hydrogène liquide. VA244 était également le dernier lancement d’une Ariane 5 avec une coiffe de taille courte. Ce lanceur possédait deux longueurs de coiffe protectrice différentes : 12,728m pour la version courte et 17m pour la version longue. La première est normalement utilisée pour les lancements d’un seul satellite ou alors vers des orbites basses ou moyenne tandis que la seconde sert, en association avec le SYLDA (coiffe structurelle dans la coiffe protectrice), dans le cas de la mise en orbite géostationnaire de deux satellites.

 

Vue rapprochée de la coiffe courte et des bras cryogéniques repliés car inutiles sur ce vol (rectangle jaune avec des tuyaux rouges à gauche de la coiffe). Crédits : Arianespace

 

VA244 était également le dernier lancement de satellites Galileo à bord d’une Ariane 5. En effet les quatre derniers satellites décolleront à bord d’une Ariane 62, la nouvelle fusée d’Arianespace qui réalisera son premier vol en 2020. Etant donné que l’Ariane 62 ne pourra mettre sur orbite que deux satellites Galileo à la fois, VA244 devient également le dernier lancement de quatre Galileo. Ce vol devenait aussi le 99ème lancement d’une Ariane 5. Le 100ème devrait prendre place le 5 septembre pour la mission VA243 (ce vol aurait dû avoir lieu avant VA244 mais un retard d’un des constructeurs de satellite à causer son décalage après) et la mise en orbite des satellites Horizons-3e et Intelsat 38.

 

Les quatre satellites Galileo du vol VA244 en train d’être placés sur leur dispenseur qui les larguera en orbite. Crédits : Arianespace

 

Galileo est une constellation GNSS (Global Navigation Satellite System) très similaire au GNSS américain que tout le monde connaît : le GPS. Cette similarité est tellement importante que les structures des satellites sont quasi identiques. La principale différence entre les deux est le fait que le GPS soit d’abord un système militaire alors que Galileo est public. En plus d’éviter les black-outs qui peuvent avoir lieu en temps de guerre, cela rend également les satellites beaucoup plus légers. Effectivement, les satellites GPS ont été blindés et pèsent donc environ trois tonnes à l’unité là où les Galileo n’atteignent que 738kg sur la balance.

 

Vue d’artiste de deux satellites Galileo avec leurs panneaux solaires déployés. En réalité, deux satellites ne sont pas aussi proches l’un de l’autre que ça. Crédits : Arianespace

 

C’est la Commission Européenne qui a contacté l’ESA pour développer le segment spatial de Galileo. Ce dernier se composera à terme de 30 satellites donc 24 seront opérationnels et 6 serviront de remplacements en cas de problème. Ils seront répartis sur trois plans orbitaux d’une altitude de 23 222km et tous inclinés à 56° par rapport à l’équateur. Les satellites mesurent 2,7m de haut, 1,2m de large et 1,1m de profondeur et jusqu’à 14,67m de largeur une fois les panneaux solaires déployés en orbite. Ces derniers fourniront une puissance électrique de 1900W au satellite lui permettant ainsi de faire fonctionner tous ses systèmes et ses antennes. La constellation Galileo émet donc sur trois bandes / fréquences différentes : E5, E6 et E1. Avec ce réseau de satellites, il est possible d’atteindre une précision de moins de 5m gratuitement et jusqu’à 10cm grâce aux services payants en comparaison aux 10m du GPS.

 

Simulation pendant le vol VA244 où l’on voit les quatre satellites Galileo et l’étage EPS qui vient d’être allumé pour la première fois. Crédits : Arianespace

 

En ce moment il y a 26 satellites Galileo au-dessus de nos têtes. 24 sont opérationnels et 2 servent à des tests car ils avaient été placés sur une mauvaise orbite à cause d’un problème au lancement. VA244 a ajouté les satellites 23, 24, 25 et 26 respectivement nommés Tara, Samuel, Anna et Ellen. Ces noms sont ceux d’enfants nés en 2000, 2001 ou 2002 et qui ont gagnés un concours de dessin organisé par l’ESA en 2011 pour motiver des jeunes à s’intéresser au spatial. Chacun de ces satellites Galileo devraient fonctionner pendant au moins 12 ans, ce qui laisse une certaine période pour que les noms de ces enfants restent en orbite dans l’espace.

 

Décollage de la 99ème Ariane 5 pour le vol VA244. Crédits : Arianespace

 

 

Iridium NEXT VII

14 minutes après le décollage de VA244, c’est une Falcon 9 qui s’élance depuis la base militaire de Vandenberg sur la côte Ouest des Etats-Unis pour mettre en orbite pas moins de dix satellites Iridium NEXT, la nouvelle génération de la constellation de téléphonie satellite Iridium. Si vous souhaitez en apprendre plus sur ces satellites, leurs caractéristiques et leurs objectifs, vous pouvez retrouver un précédent article juste ici. Lors de ce vol ce sont les satellites de 66 à 75 qui ont été envoyés.

 

A cause du brouillard trop épais à Vandenberg, les seules images du décollage ont été prises depuis la caméra placée à bord de la Falcon 9. Crédits : SpaceX

 

Lors de ce vol, l’objectif était de récupérer le premier étage et la coiffe du lanceur. Celui-ci était d’ailleurs le troisième Block 5 dont les modifications avaient été détaillées dans cet article sur le lancement de Bangabandhu-1. Ici le vol s’est encore une fois déroulé à merveille mais une météo capricieuse au niveau de la zone de récupération mettait en danger le bon atterrissage du booster et de la coiffe. En effet il y avait beaucoup de vents de cisaillement dans cette zone et ces vents sont très complexes à gérer car ils agitent le booster, le déplacent dans un sens puis dans l’autre, etc. SpaceX aurait donc bien pu rater un atterrissage voire endommager la barge JRTI (Just Read The Instructions). Finalement le premier étage a extrêmement bien traité cette météo et a atterri sur la barge, peut-être pas au centre mais il a atterri !

 

A gauche, on peut voir le premier étage réaliser un « boostback burn » pour ralentir et ramener sa trajectoire vers la barge JRTI. A droite, le second étage a allumé son moteur pour pousser les dix satellites Iridium NEXT sur leur orbite finale. Crédits : SpaceX

 

Du côté de le coiffe, ces vents ont été plus gênants. Le bateau Mr. Steven qui est chargé de récupérer les demi-coiffes à l’aide d’un grand filet se trouvait dans la même zone de vents de cisaillement que la barge JRTI. A la suite de plusieurs échecs de cette récupération de coiffes sur de précédents vols, SpaceX avait décidé d’augmenter la taille du filet, et pas qu’un peu : le filet a quadruplé de surface ! Le navire a également reçu des améliorations lui permettant de manœuvrer plus vite afin de « chasser » la coiffe. Cependant, lors de ce vol, la météo aura eu raison des demi-coiffes qui, encore une fois, se sont crashés en douceur dans l’océan Pacifique.

 

Comparaison avant-après du filet de Mr. Steven, le bateau récupérateur de coiffes de SpaceX. Crédits : SpaceX

 

Ce vol a donc été un nouveau succès pour SpaceX et encore une belle démonstration du Block 5 qui a su ratterrir même par des vents de cisaillement forts !

 

Comme toujours, si vous souhaitez réagir sur cet article, il vous suffit de vous rendre au topic créé à cet effet !

 

 

La deuxième Falcon 9 Block 5 pour le plus lourd satellite géostationnaire

mardi, juillet 24th, 2018

Vous vous souvenez du lancement de Bangabandhu-1 ? C’était le premier lancement de la dernière version de la Falcon 9 : j’ai nommé le Block 5 ! Dimanche 22 juillet 2018, c’est au tour du satellite Telstar 19V de s’envoler à bord d’un Block 5, le deuxième produit et lancé par SpaceX. Le lancement a eu lieu à 7h50 heure française et dans la nuit floridienne (1h50) au pas de tir 40 de Cape Canaveral.

 

Décollage de Telstar 19V depuis le pas de tir 40 de Cape Canaveral. Crédits : SpaceX

 

Telstar 19 VANTAGE

Telstar 19V est un nouveau satellite commandé par la société canadienne Telesat et construit par la compagnie américaine SSL (Space Systems Loral). Ce dernier a rejoint Telstar 12V et Telstar 18V en orbite. Le but de ces différents satellites est de permettre une couverture optimale et flexible pour les opérateurs satellites. En effet, avec l’augmentation rapide des besoins de communication chez les particuliers, les gouvernements, les entreprises et même dans l’industrie marine et aéronautique, il faut des moyens de transmission d’informations de plus en plus performants.

 

Vue d’artiste du satellite Telstar 19 VANTAGE une fois déployé en orbite. Crédits : Telesat

 

Pour améliorer ce système, Telstar 19V embarque deux charges utiles : des antennes en bande Ku et d’autres en bande Ka. Ce satellite se positionne très proche de son cousin Telstar 14R sur l’orbite géostationnaire (36 000km d’altitude) à une latitude de 63° Ouest. Cet emplacement est extrèmement pratique car il offre la possibilité de communiquer directement avec l’Amérique et avec l’Europe. Ainsi Telstar 19V apporte une nouvelle puissance de communication en Amérique du Nord avec des signaux HTS (High Throughput Satellite / Satellite à haute intensité) en bande Ku et Ka. Ce nouveau satellite instaure également les signaux HTS au Brésil, dans la région de la Cordillère des Andes, dans les Caraïbes et au nord du Canada.

 

Carte montrant les zones d’utilisation des signaux envoyés par le satellite Telstar 19V. Crédits : Telesat

 

Telstar 19 Vantage devrait fonctionner pendant une quinzaine d’années sur son orbite avant de se propulser sur une orbite cimetière, légèrement plus loin de la Terre que l’orbite géostationnaire pour libérer l’emplacement qu’il occupait ainsi que pour éviter que ce dernier devienne incontrôlable et percute un autre satellite. Ce dernier devient également le plus lourd satellite commercial jamais lancé en GTO (orbite de transfert géostationnaire) avec sa masse de 7 080kg, battant ainsi le précédent record détenu par TerreStar1, un autre satellite construit par SSL, lancé en juillet 2009 à bord d’une Ariane 5 et qui était lourd de 6 910kg.

 

Telstar 19V pendant son installation dans une chambre froide et à vide qui permet de recréer les conditions de l’espace afin de tester le satellite. Crédits : SSL

 

Cependant Telstar 19V n’atteindra pas son orbite finale avec cette masse. En effet la Falcon 9 qui l’a lancée, l’a laché sur une orbite relativement basse : 243km par 17 863km et inclinée à 27,0°. Même si cette dernière est loin des orbites GTO classique (plus proche de 400km par 36 000km), ni SpaceX, ni Telesat ne semblaient tristes ce qui signifie que cette orbite est belle et bien celle attendu. Pour rejoindre l’orbite géostationnaire finale, Telestar 19V va devoir utiliser le carburant qu’il a emporté (hydrazine).

 

Telstar 19V après sa séparation du second étage de la Falcon 9. On y aperçoit la tuyère de son moteur en bas et un de ses panneaux solaires encore repliés devant. Crédits : SpaceX

 

Lancement

Ce vol, en plus de marquer un nouveau record de masse, représente le deuxième vol de la Falcon 9 Block 5, dernière itération de ce lanceur. Après un lancement parfait le 11 mai 2018 et que vous pouvez retrouver détaillé ici, ce vol a connu un très léger problème qui en a fait suer certains. En effet, toute la première phase du vol s’est déroulée parfaitement : Décollage à l’heure, passage supersonique et de Max-Q sans problème, séparation des étages sans accrocs et fin du premier allumage du second étage (on reparle de ce qui est arrivé au premier étage juste après). Après une phase de croisière de 18 minutes, le second étage doit réallumer son moteur Merlin pendant 50 secondes afin de pousser l’apogée de l’orbite et de diminuer son inclinaison. Le rallumage se passe très bien mais quelques secondes avant l’extinction prévue, un des ingénieurs annonce « Low Signal » et plus personne ne parle sur le direct. Ce message signifie simplement que le signal reçu du second étage est trop faible. Ce problème arrive assez souvent quand un lanceur passe d’une station sol à une autre. A ce moment il est donc au plus loin d’une antenne et le signal devient assez faible. Sauf que lors de ce vol, le message « Low Signal » a été annoncé alors que le second étage était au-dessus de la station sol du Bénin et le signal n’avait donc aucune raison apparente d’être aussi faible. Cet incident n’est habituellement pas gênant mais ici, il est apparu juste avant l’extinction du moteur. Ainsi les ingénieurs de Hawthorne, au QG de SpaceX, n’avaient aucun moyen de confirmer cette dernière. Heureusement, une petite minute après la perte de signal, ce dernier est revenu et l’orbite a pu être confirmée comme correcte : le moteur s’est bien éteint au bon moment !

 

Photo du moteur du second étage pendant son deuxième allumage pour augmenter l’orbite du satellite. C’est pendant cet allumage qu’est survenu la légère perte de signal. Crédits : SpaceX

 

D’un autre côté, le premier étage ne s’est pas laissé abandonner. Après la séparation des deux étages, celui-ci s’est retourné pour se préparer à rentrer dans l’atmosphère. 3min30 après cela, une fois que l’air se densifie, trois moteurs se sont rallumés sur le booster pour le faire ralentir et éviter qu’il ne surchauffe trop. Autre point positif de ce rallumage, les flammes des trois propulseurs forment une sorte de bouclier de plasma qui protège encore plus l’étage. Après ce rallumage de quelques dizaines de seconde, une nouvelle phase d’attente d’1min30 a lieu. Enfin le moteur central de l’étage s’est allumé pour freiner ce dernier et le faire atterrir sur la barge OCISLY (Of Course I Still Love You) qui attendait tranquillement au large de la Floride, dans l’Altlantique.

 

Photo du premier étage une fois avoir atterri sur la barge OCISLY. Crédits : SpaceX

 

En somme, ce lancement a été un nouveau succès, qui marque le 13ème vol de Falcon 9 cette année. Celui-ci a permis de battre un record de masse en GTO, augmenter la fiabilité du Block 5, améliorer la communication satellite en Amérique et tester les nerfs des ingénieurs et des spectateurs avec cette légère perte de signal du second étage.

 

Images prises quelques secondes après la séparation des deux étages. A gauche, on voit le premier étage et les grid fins (surfaces de contrôle) se déployer. Le panache bleu au-dessus de ces derniers est tout simplement le plasma du moteur du second étage, moteur que l’on peut voir à droite. Crédits : SpaceX

 

Comme toujours, si vous souhaitez réagir sur cet article, il vous suffit de vous rendre au topic créé à cet effet !

Ravitaillement américano-russe de l’ISS

mardi, juillet 10th, 2018

La Station Spatiale Internationale a constamment besoin de ravitaillement, qu’il s’agisse de vivres pour les astronautes ou d’expériences scientifiques que ces derniers devront réaliser ou encore des pièces de rechange pour réparer les éléments défectueux de ce gigantesque laboratoire. En moins de deux semaines, la station a ainsi reçu deux nouveaux cargos et pas moins de 5,5 tonnes de charge utile. Ces deux cargos, ce sont le Dragon CRS-15 de SpaceX et la Progress MS09 de Roscosmos. Le premier a décollé le 29 juin à 11h42 CEST et s’est arrimé à la station un peu plus de trois jours après, le second est parti de la Terre le 10 juillet à 23h51 CEST avant de rallier l’ISS en seulement trois heures et quarante minutes !!

 

Photo du décollage de CRS-15. Crédits : SpaceX

 

CRS-15

La mission CRS-15 est, comme son nom l’indique, la quinzième mission de ravitaillement de l’ISS de SpaceX. Celle-ci a décollé depuis Cape Canaveral et le pas de tir SLC-40. Le contrat existant entre la société privé d’Elon Musk et la NASA était initialement prévu pour prendre fin à CRS-12 mais il a été étendu jusqu’à CRS-15 en début 2015 et même jusqu’à CRS-20 en février 2016. Cependant, SpaceX a arrêté la construction de ses capsules Dragon avec CRS-12. Comment continuer de ravitailler l’ISS sans fabriquer de nouveaux cargos ? C’est simple, il suffit de réutiliser les anciens ! Ainsi, le cargo utilisé pour CRS-15 avait déjà volé lors de CRS-9 il y a deux ans. Seules deux parties ont dû être reconstruites entièrement : le nez aérodynamique qui protège le port d’arrimage au décollage et le « trunk », sorte de grande soute où sont placés les plus gros équipements de la station et où on retrouve également les panneaux solaires du Dragon, ce « trunk » est séparé avant la rentrée atmosphérique car il cacherait le bouclier thermique.

 

Photo prise pendant le vol de la Falcon 9. On peut très bien voir les neufs moteurs. Crédits : SpaceX

 

CRS-15 a amené à la station pas moins de 2697kg de matériels dont :

-205kg de vivres

-1233kg de matériels scientifiques

-63kg d’équipement pour les EVAs

-178kg d’électronique de bord

-21kg de ressources pour les ordinateurs de la station

-12kg de matériel pour la partie russe

-985kg de charge utile non pressurisée (dans le « trunk ») dont ECOSTRESS (550kg) et une nouvelle LEE (435kg).

 

Photo des deux équipements dans le « trunk » de CRS-15. En haut on peut voir la nouvelle LEE et en bas il y a ECOSTRESS. Crédits : SpaceX

 

Dans un premier temps, parlons du matériel non pressurisé. La LEE (Latching End Effector) est une des deux « têtes » du bras robotique Canadarm 2. C’est cette pièce qui permet au bras d’attraper des cargos comme le Dragon ou Cygnus afin de les arrimer à l’ISS. Cette même partie du Canadarm 2 lui permet de se déplacer sur la station en s’attachant à un des nombreux points présents à l’extérieur de l’ISS avant de relâcher son précédent point d’accroche où l’on trouve une autre LEE. Les dernières EVAs sur la station se sont beaucoup concentrés sur ces pièces en remplaçant les anciennes par les nouvelles. Ainsi, le Canadarm 2 était équipé des dernières technologies mais plus aucune pièce de rechange n’était disponible pour la LEE. Cette dernière est sûrement une des pièces les plus critiques sur la station car si une des deux tombe en panne en orbite, seul le cargo russe Progress pourrait ravitailler la station car il est le seul à savoir se « docker » sans bras robotique. Problème, le Progress ne peut pas transporter de nouvelle LEE de rechange. Seul le Dragon a un espace assez grand pour l’apporter en orbite. Il était donc crucial pour les ingénieurs d’amener cette nouvelle LEE au plus vite afin de pouvoir remplacer celles déjà existantes en cas de défaillances.

 

Installation d’ECOSTRESS sur la table d’expériences du laboratoire Kibo. Crédits : NASA

 

La seconde charge utile non pressurisée est l’expérience scientifique ECOSTRESS. Cette dernière sera fixée sur le Site 10 de la table du laboratoire japonais Kibo. Cette table située dans le vide spatial est un des trois endroits les plus utilisés pour placer les expériences (les deux autres étant la poutre et l’extérieur droit du laboratoire Colombus). ECOSTRESS a été construit par le JPL de la NASA afin de cartographier la Terre dans les infrarouges. C’est l’instrument PHyTIR (Prototype HyspIRI Thermal Infrared Radiometer) qui prendra ces photos. Ce dernier a une résolution de 38m dans le sens de déplacement de la station et de 69m à 90° de ce précédent sens de déplacement. La résolution minimale nécessaire pour ce type d’expérimentations est de 100m. Cette même caméra développée par l’ESTO (Earth Science Technology Office) pendant le programme d’incubation d’instrument peut également détecter des variations de température de moins de 0,1K alors que le minimum requis est de 0,3K. Grâce à cette instrumentation et cette cartographie, les agriculteurs du monde entier pourront savoir gratuitement quelles parties de leurs champs sont mal hydratées en détectant les parties trop chaudes. Ainsi, l’eau sera utilisée de manière plus efficace et évitera un gaspillage important (l’agriculture est le premier usage de l’eau dans le monde avec 70%).

 

Expérience Barios PCG. Crédits : Barrios Technology

 

Parmi les nombreuses expériences à bord du cargo Dragon CRS-15, on retrouve Barrios PCG. Cette dernière a été développée par Barrios Technology et a pour but d’étudier la croissance de cristaux de manière organique. Cette expérience sera réalisée dans la boîte à gants du laboratoire Destiny et les astronautes ajouteront de la solution de silicate de sodium en roulant le sachet, ce qui permettra la formation de cristaux sur le fil d’acier. En étudiant les tests, les futures itérations de l’expérience pourront être optimisées afin d’étudier la formation de protéines dans notre corps mais aussi le fonctionnement de certains médicaments.

Exemple de simulations sur la force cohésive. Crédits : University of California

 

L’expérience BCAT-CS de sont côté va étudier une interaction nommé « force cohésive » dans les sédiments. Cette force est très présente dans la manière dont les sédiments sont transportés dans l’environnement mais aussi dans des systèmes mécaniques mais sa faiblesse la rend très dure à étudier sur Terre car la gravité prend le dessus bien souvent. La compréhension de cette force pourra nous permettre de mieux appréhender la transportation de contaminants et de polluants. Le but de BCAT-CS est donc de réaliser différentes expériences basées sur cette force cohésive afin de comparer les résultats réels avec les simulations numériques faites ici, sur Terre. Une fois le modèle mathématique trouvé, il sera bien plus simple d’étudier tous les phénomènes liés à cette interaction.

 

Photo de la machine à fibre optique de Made In Space et des fibres produites. Crédits : Made In Space

 

Made In Space Fiber Optics-3 est une expérimentation qui vise à étudier la meilleure manière de produire des fibres optiques dans l’espace. En effet il a déjà été prouvé que la manufacture dans l’espace des ces dernières permet d’éliminer beaucoup plus facilement les impuretés et donc d’obtenir une fibre de bien meilleure qualité. La fibre optique ZBLAN pourrait ainsi dépasser de très loin celles fabriquées sur Terre. Dans un futur proche, Made In Space espère pouvoir envoyer sa fabrique de fibres optiques à bord de l’ISS. Mais avant cela, les ingénieurs cherchent à optimiser et encore optimiser leur résultat, d’où cette troisième itération de leur expérience.

 

CIMON dans une réplique sur Terre du laboratoire Destiny. Crédits : DLR

 

Il reste encore de nombreuses expériences dont vous pourrez retrouver des descriptifs à l’adresse suivante : https://www.iss-casis.org/press-releases/spacex-crs-15-mission-overview/ mais il est maintenant temps de parler du robot CIMON. Ce dernier est le tout premier assisant autonome volant d’astronaute équipé d’une intelligence artificielle. Ce démonstrateur technologique développé par l’agence spatiale allemande, le DLR, va être installé dans le laboratoire Colombus est sera utilisé par l’astronaute de même nationalité pendant son séjour de six mois et sa mission « Horizons ». CIMON (Crew Interactive MObile companioN) a un diamètre de 32cm pour une masse de 5kg. Il possède plusieurs petits ventilateurs qui lui permettent de se déplacer partout sur la station. CIMON peut voir, entendre, comprendre et parler avec les astronautes pour leur donner les instructions d’une certaine expérience lorsque le centre de contrôle de cette dernière n’est pas disponible par exemple. Le 9 mars 2018, le premier test en microgravité de CIMON a eu lieu lors de la 31ème campagne de vol ZeroG allemande à Bordeaux. Ce test a permis de vérifier que tous les éléments de contrôle fonctionneraient une fois sur la station. Maintenant arrivé sur l’ISS, CIMON va réaliser toute une série de vérifications de son intégrité avant d’aider Alexander Gerst dans son travail. Les trois expériences prévues sont la pousse de cristal vue précédemment, la résolution d’un Rubik’s Cube et même une expérience médicale dans laquelle l’assistant volant servira de caméra. Si ce prototype est un succès, il sera très utile pour les astronautes sur l’ISS mais aussi et surtout lors de mission dans l’espace lointain comme Mars car les communications avec la Terre seront longues et pouvoir avoir accès à tout un protocole directement via un assistant robotique sera plus simple et plus pratique.

 

Photo longue exposition du décollage de CRS-15. Crédits : Michael Seeley @Mike_Seeley

 

Le vol de CRS-15 utilisait donc un cargo réutilisé mais également un premier étage réutilisé. Le booster de la Falcon 9 avait ainsi volé lors du lancement de TESS et a été le dernier Block 4 a emmené un objet en orbite. Ce vol a également été la réutilisation la plus rapide d’un booster avec seulement 2 mois et 11 jours entre les deux lancements. Comme tous les précédents vols de booster ayant déjà réalisé une première mission, le premier étage de CRS-15 n’a pas été récupéré et a sûrement testé un profil de rentrée atypique pour assurer une réussite à 100% du Block 5 qui doit pouvoir voler 10 fois sans réparation majeure et jusqu’à 100 fois avec des révisions plus importantes tous les 10 vols. Ce dernier vol marque donc la fin du Block 4, itération de la Falcon 9 qui n’a connu aucun échec !

 

Photo en gros plan du cargo Dragon CRS-15 lors de son arrimage au Canadarm 2. Le dessin de l’ISS signifie qu’il est déjà venu une fois sur la station. Crédits : Oleg Artemyev

 

Après trois jours de voyage en orbite, le Dragon CRS-15 s’est approché de la station. Une fois à 10m, les astronautes de l’ISS ont commandé le Canadarm 2 pour attraper le cargo. Une petite attente a eu lieu car il faisait trop sombre et l’image qu’obtenait les astronautes de la caméra placée sur le bras avait trop de bruit numérique à cause de cette pénombre. Une fois le bras robotique et le cargo lié, ce sont des techniciens au sol qui se sont occupés d’arrimer CRS-15 au port nadir (du côté de la Terre) du nœud Harmony le 2 juillet à 15h50 CEST. Voici une magnifique vidéo de cette dernière phase du voyage du cargo : www.twitter.com/astro_ricky/status/1014981035887558656?s=19 .

 

Progress MS09

Une semaine après l’arrimage de CRS-15, c’est le cargo russe Progress MS09 qui décollait depuis Baïkonour. Contrairement au Dragon, ce vaisseau a surtout amené des vivres et des consommables :

-705kg de carburant

-50kg d’oxygène et d’air

-420kg d’eau

-De la nourriture

 

Décollage de Progress MS09. Crédts : NASA et Roscosmos

 

Cette mission est pour le moins très importante pour l’agence spatiale russe. Dans un premier temps elle représente le voyage le plus court vers l’ISS jamais réalisé. En effet entre le décollage et le « docking », il ne s’est passé que 3h40 et deux orbites !! Ce temps de ravitaillement très court peut s’avérer pratique mais il demande une précision hors-norme. En effet quelques semaines avant le décollage, la station avait légèrement modifié son orbite afin de pouvoir réaliser ce rendez-vous rapide. C’est la fusée Soyuz 2.1a qui s’est occupée de placer le Progress en orbite. Ce voyage est devenu le troisième « docking » le plus rapide de l’histoire. Le premier est l’expérience Cosmos 186/188 en 1967 avec un temps entre décollage et arrimage de 1h8min et le deuxième est la mission Gemini 11 et son arrimage à la cible Agena.

 

« Docking » du Progress MS09 au module Pirs de l’ISS. Crédits : NASA

 

Le deuxième point qui rend cette mission critique pour la Russie est au moment de son désarrimage. Effectivement, Progress MS09 s’est « docké » au port Pirs qui se situe au nadir de la station. Lors de son départ, ce n’est pas le Progress qui se séparera de Pirs mais bien Pirs se détachera de Zvezda. Et oui ! Pirs est retiré de la station et brûlera dans l’atmosphère avec le Progress MS09. L’agence spatiale russe a décidé d’enlever ce module pour préparer l’arrivée du futur laboratoire Nauka qui aurait dû décoller depuis quelques années mais qui est maintenant prévu pour l’année prochaine.

 

Image de l’ISS prise par le Progress MS09 lors de son rendez-vous un peu plus de 3h après le décollage. Crédits : NASA et Roscosmos

 

Le lancement s’est déroulé sans accros et porte ainsi à 57, le nombre de lancements orbitaux en 2018 (58 au moment de la publication de cet article à la suite du lancement de la fusée chinoise Long March 3A).

 

Soyuz 2.1a avec à son bord le Progress MS09 sur son pas de tir avant le décollage. Crédits : Roscosmos

 

Comme toujours, si vous souhaitez réagir sur cet article, il vous suffit de vous rendre au topic créé à cet effet !