Archive for août, 2018

Un satellite unique en son genre : Aeolus

jeudi, août 23rd, 2018

La mesure des vents est un élément essentiel de notre quotidien. Que ce soit pour prédire la météo, savoir où placer des champs éoliens, où construire des aéroports ou encore savoir quand évacuer les populations lors de cyclones, il est très important pour nous de comprendre les vents mais surtout d’avoir un suivi de ces derniers. C’est dans cet objectif qu’est né Aeolus, premier satellite à mesurer cela depuis l’espace. Et pour ce faire, Aeolus est armé d’un appareil nommé ALaDIn qui est en fait un LIDAR couplé à des mesures de l’effet Doppler et plein d’autres phénomènes optiques qui seront détaillés dans quelques paragraphes.

Vue d’artiste de la séparation de la coiffe lors du lancement. On voit bien le télescope d’Aeolus au centre. Crédits : ESA

Histoire

Ce satellite qui tire son nom du dieu grec Eole, dieu des vents qui a notamment aidé Ulysse dans son voyage pour rentrer de Troie, fait parti du programme Living Planet de l’Agence Spatiale Européenne (ESA). Ce dernier regroupe toutes les missions spatiales dédiées à l’observation de la Terre. La constellation Sentinel dont nous avons déjà parlé à l’occasion du lancement de Sentinel 3B fait parti de ce programme mais Aeolus appartient au groupe Earth Explorer. Celui-ci rassemble les satellites à but de recherche scientifique en opposition aux Sentinel qui recueillent en continue des données sur notre belle planète bleue (et verte).

Programme Living Planet. Crédits : ESA

Il existe actuellement huit missions Earth Explorer :

 -GOCE lancé en mars 2009 qui a mesuré avec une très grande précision le champ gravitationnel terrestre pour en faire une carte mondiale.

 -SMOS lancé en novembre 2009 a étudié le cycle de l’eau terrestre en mesurant la salinité des océans et l’humidité des sols.

 -CryoSat 2 lancé en avril 2010 après l’échec du lancement de CryoSat 1 en 2005 mesure les fluctuations dans l’épaisseur de la glace sur le sol mais aussi dans les océans

 -Swarm lancé en novembre 2013 qui a, depuis, fourni le meilleur modèle du champ magnétique terrestre et de son évolution dans le temps.

 -ADM-Aeolus lancé en août 2018 démontrera la possibilité de caractériser les vents grâce à des lasers.

 -EarthCARE dont le lancement est prévu en 2018 améliorera notre représentation et compréhension de la manière dont la Terre réfléchit, absorbe et conserve les rayonnements.

 -Biomass prévu pour un lancement en 2020 fournira des mesures sur la quantité de biomasse et de carbone stocké dans les forêts et ainsi nous permettra de mieux comprendre le cycle du carbone.

 -FLEX dont le lancement est prévu pour 2022 cartographiera la fluorescence végétale pour quantifier l’activité photosynthétique.

Les huit missions actuelles du programme Earth Explorer. Crédits : ESA

Le projet ADM-Aeolus (Atmospheric Dynamics Mission Aeolus) voit le jour à la veille de l’année 2000 et est sélectionné par l’ESA pour démarrer le programme Living Planet. Il est initialement prévu que le lancement ait lieu en 2007 mais les problèmes dans la conception de la fabrication de l’instrument principal du satellite repousseront la date ultime jusqu’à août 2018. En 2003, c’est le groupe EADS Astrium Satellites, ensuite devenu groupe Airbus, qui est choisi pour développer Aeolus. En 2000, un premier satellite avait été imaginé. Il devait peser 785kg, posséder un télescope de 1,10m et être alimenté en électricité par des panneaux solaires de 725W. Finalement, aux vues de son orbite basse et donc de la traînée atmosphérique importante et aussi du grand nombre de photons renvoyés par l’atmosphère, le modèle est modifié : on double la quantité d’ergols, on augmente la taille du télescope en le passant à 1,50m de diamètre, on optimise la forme du tube qui protège ce dernier… Au final, la masse d’Aeolus a quasiment été multipliée par deux pour un total de 1 400kg.

Vue d’artiste du satellite Aeolus en orbite et déployé. Crédits : ESA

Vient ensuite la mise au point de l’instrument Aladin. Celui-ci se base sur une technologie jamais mise en œuvre dans l’espace et à cause (ou grâce) de cet avant-gardisme, de nombreux problèmes se sont posés : Résultat ? La mission prend 10 ans de retard ! Un des obstacles majeurs était le secret défense sur les lasers ultraviolets car ils étaient utilisés dans les bombes atomiques. Une fois les problèmes résolus (ces résolutions seront décrites plus loin), un petit prototype, A2D (ALADIN Airborne Demonstrator) a été construit et placé sur un avion de l’agence spatiale allemande, la DLR, pour le tester.

Modèle 3D du prototype A2D monté sur un avion de la DLR. Crédits : DLR

Au final, le projet aura couté 550 millions d’euros, ce qui reste très peu lorsque comparé à des projets militaires. En 2016, le lanceur léger européen Vega est choisi pour mettre sur orbite Aeolus et le lancement est prévu pour fin 2017. En mai 2017, le satellite arrive au Centre Spatial de Liège en Belgique, centre spécialisé dans l’optique spatiale, pour subir une série de tests dont 50 jours de tests sous vide pour qualifier l’instrument Aladin. Ensuite, Aeolus a été transporté jusqu’à Kourou mais au lieu de voyager par avion comme la plupart des satellites, il a traversé l’Atlantique par bateau. Pourquoi ? demanderiez-vous. A cause de la pressurisation rapide lors de la descente en altitude, Aeolus aurait pu être endommagé à cause de l’ingestion de polluants et de poussières. C’est donc le navire routier Ciudad de Cadiz qui l’amène jusqu’en Guyane française.

Bateau transporteur Ciudad de Cadiz. Crédits : Frank Schwichtenberg (Creative Commons)

 

ALaDIn

L’instrument scientifique que va utiliser Aeolus pour réaliser sa mission se nomme Aladin et est l’acronyme de Atmospheric Laser Doppler Instrument auquel les ingénieurs ont rajouté une touche d’humour pour ne pas juste l’appeler ALDI. Ce dernier va utiliser un puissant laser ultraviolet (355nm de longueur d’onde) pour réaliser ses mesures. Aladin enverra de très courtes pulsations de ce laser vers la Terre (100 pulsations par seconde). Une fois que cette pulsation rencontre une poussière ou un aérosol contenu dans l’air, elle sera réfléchie et potentiellement captée par Aeolus. En mesurant le temps entre l’émission et la réception, Aladin pourra calculer la distance qui le sépare de cette poussière ou aérosol.

Graphique illustrant le décalage dû à l’effet Doppler. La diffusion Rayleigh est celle causée par les molécules d’air et la diffusion Mie est causée par les gouttelettes d’eau et les aérosols. Crédits : ESA

Mais comment peut-on mesurer la vitesse des vents si nous n’avons accès seulement à la distance ? Et c’est là qu’entre en jeu le D de Aladin ! Grâce à l’effet Doppler, quand la pulsation lumineuse rencontrera cette particule dans l’air, si celle-ci est en mouvement, alors la longueur d’onde de la pulsation sera modifiée. Elle sera soit augmentée si la particule s’éloigne d’Aeolus, soit réduite dans le cas contraire. Ainsi, en mesurant le décalage de la longueur d’onde entre celle de la pulsation envoyée et celle de la pulsation reçue, il est possible de déterminer la vitesse de déplacement de la particule. Et étant donné que cette dernière est portée par le vent, alors nous avons une mesure de la vitesse de ce dernier !

Schéma du fonctionnement du laser d’Aladin. Crédits : ESA

Aladin est donc composé d’un laser qui génère 5W de lumière d’une longueur d’onde de 355nm (hors du spectre visible par l’Homme). Cette dernière a été choisie car c’est celle qui est le plus réfléchie par les molécules atmosphériques. Pour créer ce rayon cohérent, tout un agencement de sources lasers (lasers Nd-YAG qui produisent des impulsions d’une énergie de 120mJ avec une fréquence de 100Hz), de lentilles, d’amplificateurs, etc a été mis en place. Et on en revient à un des problèmes qui a causé tant de retard ! A cause de l’énergie transporté par ce laser, l’optique interne est portée à des températures très importantes : 1 700°C. En conséquence, la surface des différents éléments optiques s’obscurcit en absence d’atmosphère. Pour remédier à ce souci, des ingénieurs ont eu la bonne idée d’injecter en permanence une faible quantité d’oxygène qui, en oxydant les contaminants produits à la surface des optiques, permet leur élimination. Afin de répondre aux besoins en oxygène pendant les trois ans de la mission, un réservoir de 15kg a été ajouté au satellite.

Laser et optique de l’instrument Aladin. Crédits : ESA

Une fois le rayon cohérent du laser produit, il est réfléchi sur un télescope de 1,50m de diamètre afin d’être envoyé vers la Terre. Celui-ci est pointé à 35° du plan orbital afin de transmettre et recevoir la lumière perpendiculairement à la vitesse d’Aeolus. Ainsi, Aladin pourra mesurer la composante Est-Ouest de la vitesse des vents. Une fois le laser réfléchi par les particules contenues dans l’air, il est capté par ce même télescope et redirigé vers deux photodétecteurs très sensibles qui vont transformer ce signal lumineux en signal électrique, ensuite analysé pour en déduire le décalage dû à l’effet Doppler et tout un tas d’autres informations. Grâce à ses calculs, Aladin permet de mesurer la vitesse des vents avec une précision de 1 à 2 m/s suivant l’altitude et sur une tranche d’atmosphère de 14km (de 2 à 16km). Au total, Aeolus effectuera 100 mesures de profil par heure.

Géométrie des mesures. Crédits : ESA

Caractéristiques techniques

Aeolus mesure 4,6m de haut, 1,9m de large et 2m de profondeur pour une masse totale au décollage de 1 366kg : 650kg pour la plateforme, 450kg pour la charge utile et 266kg d’ergols pour les manœuvres en orbite. Ce sont deux panneaux solaires fixes qui fournissent l’énergie au satellite. Au total, ils mesurent 13,4m² et fournissent en moyenne 1,4kW de puissance avec un maximum à 2,4kW grâce aux cellules d’arséniure de gallium. Toute cette électricité est stockée dans des batteries Li-ion de 84Ah afin de continuer à fournir de l’énergie même en pleine nuit. Une fois les données recueillies, Aeolus les transmet en bande X à la station norvégienne de Svalbard avec un débit de 5 Mbits/s. Grâce à sa mémoire de 4 Gbits, le satellite peut conserver les données pendant 72h.

Satellite Aeolus (à droite) pendant son remplissage en hydrazine. Crédits : ESA

Pour une mission d’une telle précision, le contrôle d’attitude est essentiel. C’est pourquoi Aeolus est très bien équipé sur ce point : grâce à un récepteur GPS il peut déterminer sa position avec une résolution de plus de 10m, un viseur d’étoiles précis à 13µrad et une centrale inertielle fonctionnant avec des gyroscopes à fibre optiques fournissent les informations nécessaires pour le bon maintien de l’orientation du satellite. Afin de corriger cette dernière, Aeolus est équipé de quatre roues à réaction ainsi que de magnéto-coupleurs pour désaturer les roues. Quatre petits moteurs fusées d’une poussée unitaire de 5N et brûlant de l’hydrazine assurent les corrections d’orbite.

Satellite Aeolus juste avant sa mise sous coiffe. Crédits : ESA

 

Lancement

Aeolus a été lancé le 12 août 2018 à 23h20 CEST depuis le Centre Spatial Guyanais à Kourou. C’est la 12ème fusée légère Vega qui s’est chargé de placer ce satellite sur une orbite héliosynchrone de 320km d’altitude. Cette orbite est inclinée à 96,7° par rapport à l’axe de rotation de la Terre ainsi, des mesures seront effectuées tous les 250km à la latitude de Bordeaux. Le satellite a été larguée après 54 minutes et 57 secondes sans encombre. Encore une fois, le petit lanceur italien, qui sera bientôt remplacé par Vega-C, montre sa fiabilité.

Décollage de la fusée Vega pour le vol VV12 avec à son bord Aeolus. Crédits : ESA

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Une mission pour toucher le soleil

dimanche, août 12th, 2018

Dimanche 12 août 2018 a eu lieu le lancement d’une mission extraordinaire : Parker Solar Probe. Cette sonde s’est élancée dans l’espace interplanétaire mais ne vise pas une autre planète, non, elle ne vise pas une orbite circulaire pour regarder notre étoile, non, Parker Solar Probe va se rapprocher au plus proche de notre Soleil pour mesurer et étudier sa couronne. Cette mission incroyable a été entreprise par la NASA et devrait durer pendant près de sept ans grâce à un équipement préparé spécialement pour la sonde.

Vue d’artiste de la sonde Parker Solar Probe une fois en orbite autour du Soleil. Crédits : NASA

Histoire

La sonde PSP (Parker Solar Probe) est née du projet américain Solar Probe créé en 2005. A cette période, New Horizons, la sonde qui a exploré Pluton et qui va bientôt survoler un autre corps de la ceinture de Kuiper, était en pleine fabrication. Avec celle-ci il ne resterait plus qu’une zone de notre système solaire que nous n’aurions pas encore visité : la région proche du Soleil. La NASA a donc lancé en 2004-2005 une étude de la faisabilité d’une telle mission. Et les résultats étaient très bons ! La mission devait lancer une sonde vers Jupiter pour profiter de sa gravité afin de la dévier sur une orbite polaire avec un périhélie à moins de quatre rayons solaires. Le problème était que son aphélie se situerait au niveau de l’orbite de Jupiter et la période orbitale serait si longue qu’elle ne permettrait que deux survols du Soleil. A cause de cette aphélie lointaine, la sonde aurait même dû utiliser des générateurs thermoélectriques à radio-isotope (RTG) pour fournir de l’énergie. On arrivait donc à une mission techniquement faisable mais qui aurait couté au moins 1,1 milliards de dollars, un prix bien trop élevé pour une telle sonde.

Modèle 3D de la sonde Solar Probe de 2005 qui n’a pas été retenue. On notera l’énorme bouclier thermique en forme de cône à l’avant. Crédits : NASA

Quelques années plus tard, la NASA relance une étude pour réaliser une mission similaire mais avec deux nouvelles contraintes : production d’énergie sans RTG et un coût total à moins de 750 millions de dollars. En 2008, le projet Solar Probe Plus voit le jour et ses caractéristiques sont redéfinies. Pour éviter l’utilisation de RTG, on décide d’opter pour de nombreuses assistances gravitationnelles de Vénus au lieu d’une grosse de Jupiter. En plus de rapprocher l’aphélie de l’orbite, cette assistance permet aussi un temps d’étude sur Soleil plus long : De 160 heures pour Solar Probe, on passe à 2 100 heures avec Solar Probe Plus et ce grâce aux nombres de survols bien plus conséquents (24 au lieu de 2). Un second avantage est une vitesse plus faible au passage de l’étoile et donc encore plus de temps de recherche : 195km/s contre 308km/s au maximum. Les seuls inconvénients sont un passage plus loin du Soleil (10 rayons solaires au minimum) mais qui est compensé par des contraintes thermiques allégées, et la possibilité d’étudier les pôles solaires qui s’envole. Cependant, cette étude polaire sera réalisée par la sonde Solar Orbiter de l’ESA dont le lancement est prévu en 2020. Maintenant que le plan général est créé, il faut passer à la fabrication et surtout à la résolution du problème majeur : la température. En effet, Solar Probe Plus subira des températures de plus de 1 400K (1 127°C) à cause d’un vent solaire 500 fois plus énergétique que celui reçu en orbite terrestre.

Plateforme centrale de Parker Solar Probe avant des tests thermiques. Crédits : NASA

Ainsi en 2008, le budget nécessaire à la mission est réservé et le projet est affecté au centre spatial Goddard qui mène déjà des études sur l’influence de notre étoile sur notre planète avec son projet Living With a Star. La NASA confie au laboratoire de physique appliquée de l’Université Johns-Hopkins la conception et le développement du satellite. A la fin de l’année suivante, ce même laboratoire conclut une étude préliminaire sur les nouvelles technologies nécessaires à inventer : bouclier thermique, panneaux solaires, système de refroidissement. La construction de la sonde commence dans les années suivantes et la date de lancement est prévue pour août 2018, date idéale pour effectuer toutes les assistances gravitationnelles voulues. Une fenêtre de tir de secours est prévue en mai de l’année suivante mais celle-ci nécessite un survol de Vénus supplémentaire. En mai 2017, la NASA décide de renommer la sonde en Parker Solar Probe en l’honneur de l’astrophysicien Eugene Parker. Ce dernier avait émis l’hypothèse il y a 60 ans que toutes les étoiles émettaient de façon permanente un flux de particules énergétiques. Ce flux a été vérifié et mesuré dans les décennies suivantes par des missions spatiales et il a été nommé « vent solaire ». Petit fait marrant, Parker Solar Probe est la première sonde de la NASA dont le nom provient d’une personne encore vivante au moment du lancement. Au final, le coût de développement de la mission est évalué à 1,05 milliards de dollars et celui des études préliminaires, du lancement et de la gestion opérationnelles à 530 millions : comme quoi les budgets finaux sont souvent bien au-dessus des budgets initiaux.

Assemblage de la sonde Parker Solar Probe. Crédits : NASA

Instruments

L’objectif de PSP est d’étudier la couronne solaire. Cette couche du Soleil s’étend sur plusieurs millions de kilomètres, atteint une température d’un million de Kelvins (contre 5500K pour la surface solaire) et est responsable des vents solaires : flux de particules très énergétiques qui bombardent tous les corps du système solaire. Ces dernières décennies, notre compréhension de cette zone n’a pas cessé de croître mais les phénomènes d’échauffement et d’accélération des vents solaires restent encore un mystère. Parker Solar Probe aura donc quatre objectifs :

-déterminer la structure et l’évolution des champs magnétiques à l’origine à la fois des particules lentes et rapides du vent solaire

-tracer les flux d’énergie qui réchauffent la couronne solaire et accélèrent les particules du vent solaire

-déterminer les processus à l’origine de l’accélération et du transport des particules énergétiques

-étudier le phénomène du « plasma poussiéreux » (voir image ci-dessous) aux abords du Soleil et son influence sur le vent solaire et la formation des particules énergétiques.

Couronne solaire vue lors de l’éclipse solaire totale du 21 août 2017 aux Etats-Unis. Le « plasma poussiéreux » est le nom donné à la dispersion du plasma, ici les petits panaches blancs. Crédits : NASA

Pour réaliser tout cela, Parker Solar Probe est équipé de quatre instruments scientifiques dont voici la liste et les explications :

WISPR : Le coronographe Wide-field Imager for Solar Probe (Imageur grand champ pour sonde solaire) est une caméra grand angle qui fournira des images en trois dimensions de la couronne solaire. Si on considère que la direction du Soleil est 0°, WISPR couvrira la zone comprise entre 13,5° et 108°. Ce coronographe est caché dans l’ombre du bouclier thermique de Parker Solar Probe (dont nous reparlerons plus tard). Etant donné qu’au périhélie, le Soleil aura une taille apparente de 12°, WISPR a une marge de 7,5° d’occultation (13,5 – 12 / 2) qui lui évite d’être abîmé en cas d’anomalies dans le pointage de la sonde. Cet instrument est placé de telle manière qu’il image dans le sens de déplacement de Parker Solar Probe. Ainsi, les phénomènes qui seront détectés in situ par les autres instruments pourront être identifiées grâce à WISPR. Ce dernier est composé de deux télescopes : l’un couvrant l’angle interne (de 13,5° jusqu’à 53°) et l’autre couvrant l’angle externe (de 53° à 108°). Le capteur CCD de ce coronographe mesure 2048 pixels par 1920 soit des images de presque 4 mégapixels. Au final, la résolution angulaire (angle au quel correspond un pixel sur l’image) est de 17 secondes d’arc quand la sonde est au plus proche du Soleil. WISPR a été développé et fabriqué par le Naval Research Laboratory en Caifornie sous la direction du professeur Russell Howard.

Modèle 3D de l’instrument WISPR. Crédits : NASA

FIELDS : Cet ensemble d’instruments mesure les champs électromagnétiques, les émissions d’ondes radios et les ondes de plasma dans la couronne solaire. Il comporte cinq antennes qui mesurent la tension électrique et de trois magnétomètres. Quatre des cinq antennes sont placées à la base du bouclier thermique tandis que la dernière est pointée à l’opposé du Soleil. Les quatre antennes sont directement attaquées par le rayonnement solaire ce qui fait monter leur température à plus de 1 500K. Pour les protéger, la partie la plus longue de celles-ci est faite d’un tube de 2m en niobium C-103, matériau qui était utilisé pour les capsules Apollo et aujourd’hui dans les tuyères des moteurs Merlin de SpaceX. Cette première section est prolongée par une seconde de 30cm en molybdène, un métal dont la température de fusion est d’environ 2 900K. Cette dernière sert de bouclier thermique et électrique. La cinquième antenne, plus courte, est montée sur un mât déployable à l’arrière de la sonde. Les trois magnétomètres sont également fixés à ce mât long de 3,5m. Cette série d’instrument FIELDS a été développée par l’Université de Berkeley en Californie sous la direction du professeur Stuart Bale.

Schéma montrant la disposition des différents instruments de FIELDS. Crédits : NASA

ISIS : L’instrument ISIS (Integrated Science Investigation of the Sun) va mesurer les caractéristiques des particules de l’atmosphère solaire qui sont accélérées à des énergies élevées (de 25keV à 200MeV). Les eV (électron-Volt) sont une unité d’énergie. Un eV est égal à l’énergie d’un électron dans un circuit électrique avec une tension d’un volt. A partir des données collectées par ISIS, il sera possible de déterminer l’origine des particules et les conditions qui ont menées à leur accélération ainsi que le rôle des chocs entre particule, des reconnexions du champ magnétique et des ondes de turbulences dans le processus d’accélération. Cet instrument possède deux capteurs : EPI-Lo et EPI-Hi. EPI-Lo mesure les caractéristiques des ions du vent solaire dont l’énergie est comprise entre 25 et 1 000 keV. Ce dernier est composé de 80 petits capteurs chacun doté d’un champ de vue précis et qui permettent au total de cartographier un hémisphère. La seconde partie d’ISIS, EPI-Hi, mesure les ions plus énergétiques, de 1 à 200MeV ainsi que les électrons dont l’énergie est comprise entre 0,5 et 6 MeV. EPI-Hi est constitué de trois télescopes qui, ensemble, offrent au capteur cinq larges champs de vue. ISIS est placé au plus loin à l’arrière de la sonde (à l’opposé du Soleil) et dans le sens de déplacement. Ainsi les capteurs disposent d’un champ de vue qui va jusqu’à 10° (toujours avec la direction du Soleil qui équivaut à 0°). Cet instrument a été développé par l’Université de Princeton sous la direction du docteur Davic McComas.

Modèle 3D de l’instrument ISIS. Crédits : NASA

SWEAP : SWEAP, pour Solar Wind Electrons Alpha and Protons, est un ensemble de quatre instruments qui vont caractériser les électrons, les protons et les particules alpha (noyaux d’hélium) : principaux composants du vent solaire. Grâce à ses données combinées à celles des autres instruments, SWEAP permettra d’accroître notre connaissance dans les mécanismes d’échauffement et d’accélération à l’œuvre dans la couronne solaire. Le premier des quatre capteurs SWEAP est le SPC (Solar Probe Cup). Celui-ci est une cavité de Faraday, un piège à électrons composé d’une capsule de métal conducteur qui permet de déterminer le nombre d’électrons interceptés en mesurant le courant produit. Ainsi SPC mesurera le flux et la direction d’arrivée des ions (particules alpha et protons) et des électrons. Ce dernier est placé en bordure du bouclier thermique et face au Soleil. Il a un champ de vu de 60°. Les trois autres capteurs font partis de la famille SPAN (Solar Probe Analyzers) qui mesure le vecteur d’arrivée et la vitesse des électrons et des ions avec une résolution angulaire temporelle et énergétique élevée. Les deux capteurs SWEAP SPAN A effectuent ces mesurent dans le sens de déplacement de la sonde tandis que le capteur B les réalise dans le sens opposé. Cet ensemble de capteurs a été développé par l’Université du Michigan et le Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics sous la direction du professeur Suart Bale, le même qui dirigeait la fabrication des instruments FIELDS.

Modèle 3D de SWEAP SPAN A+. Crédits : NASA

Modèle 3D de SWEAP SPC. Crédits : NASA

Modèle 3D de SWEAP SPAN B. Crédits : NASA

Caractéristiques techniques

Parker Solar Probe est une sonde compacte qui ne pèse que 685kg donc 50kg d’instruments scientifiques. Elle a été construite autour d’une plateforme en forme de prisme à base hexagonale d’un mètre de diamètre comportant en son centre un réservoir d’ergols. Au-dessus de celle-ci, un bouclier thermique d’une nouvelle génération est fixé par six poutrelles. Au total, la sonde mesure 3m de haut et 2,3m de diamètre avec tous ces équipements repliés (antennes, mât et panneaux solaires).

Bouclier thermique de Parker Solar Probe pendant des tests dans une chambre à vide. Crédits ; Université Johns Hopkins

Le bouclier thermique devra intercepter quasiment tout le flux de rayonnement solaire qui est près de 500 fois plus puissant que celui reçu en orbite terrestre lorsque la sonde se trouvera au plus proche du Soleil. Ce bouclier permet aux instruments de Parker Solar Probe de maintenir une température de 20K alors que la face exposée au Soleil monte jusqu’à 1 400K. Ce dernier, qui mesure 11,5cm d’épaisseur et 2,3m de diamètre est constitué d’une mousse de carbone enveloppée d’un composite carbone-carbone (similaire à celui utilisé sur les bords d’attaque des ailes de la navette spatiale américaine) et recouvert d’une couche d’aluminium sur la face exposée au Soleil. Ce bouclier a été découpé pour former deux côtés droits pour permettre une exposition uniforme sur les panneaux solaires. Les coins ont également été raccourcis pour accueillir des détecteurs de limbe solaire dont nous reparlerons dans quelques lignes.

Vue d’artiste de Parker Solar Probe (côté dans le sens du déplacement) où l’on peut voir la position des instruments scientifiques ainsi que les deux panneaux solaires repliés, ne laissant que les panneaux secondaires dépasser du bouclier thermique. Crédits : NASA

L’électricité de la sonde est apportée par un set de deux panneaux photovoltaïques. Chaque panneau a une superficie de 0,65 m² et doit pouvoir fonctionner même au plus proche du Soleil. Pour résister aux températures extrêmes, ils sont repliés dans l’ombre du bouclier thermique. Chaque panneau est constitué d’une partie primaire (72 x 65cm) complètement à l’ombre lorsque que la sonde est à son périhélie et d’une partie secondaire (27 x 65cm) à son extrémité qui, elle, est toujours exposée. Pour optimiser l’incidence du rayonnement lumineux, les panneaux secondaires forment un angle de 10° avec les primaires lors des passages au périhélie. Pour éliminer la chaleur de ces panneaux, un système de refroidissement à eau passe dans ces derniers et évacue environ 6 000 Watts de chaleur pour maintenir les cellules solaires à moins de 160°C. Ce système de refroidissement utilise ainsi quatre radiateurs (d’une superficie totale de 4,4m²) disposés sur les poutrelles qui tiennent le bouclier thermique pour pouvoir refroidir l’eau. Les radiateurs sont constitués de tubes de titane dans lesquels circulent l’eau et d’ailettes en aluminium qui dissipent la chaleur. Ils sont également utilisés à l’aphélie pour conserver une chaleur suffisamment élevée dans la sonde. Au plus proche du soleil, les panneaux produisent 340 Watts d’électricité. Parker Solar Probe possède également une batterie Li-ion de 25Ah pour stocker l’énergie produite.

Système de protection thermique pendant des tests thermiques. Crédits : NASA

Lors d’une telle mission, il est crucial de conserver une attitude parfaite. En effet, une erreur d’orientation d’1° augmente l’énergie à dissiper par la sonde de 35% au périhélie. Pour ce faire, Parker Solar Probe possède un système de contrôle d’attitude très performant afin de conserver son bouclier thermique tourné en permanence face au Soleil. La sonde est stabilisée sur trois axes grâce à quatre roues à réaction et douze petits propulseurs à hydrazine. Les réservoir internes emportent 55kg d’ergols pour une modification totale de vitesse de 170m/s sur toute la durée de la mission. Ces moteurs sont également utilisés pour les corrections de trajectoire et pour désaturer les roues à réaction. Pour connaître son attitude, Parker Solar Probe se base sur deux viseurs d’étoiles fixés à la base de la plateforme mais aussi de sept capteurs de limbe solaire. Ces capteurs sont placés en périphérie de la plateforme et à l’extrémité de l’ombre du bouclier thermique. Ce sont ces derniers qui préviennent les ordinateurs de bord au cas où la sonde ne pointe plus correctement son bouclier au Soleil. Il y a également deux capteurs solaires digitaux qui effectuent la même tache que les sept précédents mais lorsque la sonde se situe à plus de 0,7 UA du Soleil. Deux centrales inertielles fournissent également tous les paramètres liés à la rotation. L’avionique (ordinateurs de bord) a été conçue de manière à ce que les capteurs et actuateurs soient toujours opérationnels même lorsque la sonde passe en mode survie à son périhélie. Ainsi, le système de contrôle possède deux ordinateurs redondants avec chacun trois processeurs également redondants.

Vue d’artiste de la sonde solaire (côté opposé au déplacement). Crédits : NASA

Pour finir, les télécommunications se font en bande X et Ka à l’aide d’une antenne à grand gain et plusieurs antennes faible gain. Les transmissions des résultats scientifiques ne s’effectuent que lorsque la sonde est à plus de 0,56 UA du Soleil. D’un autre côté, les commandes envoyées depuis la Terre et les données télémétriques envoyées par la sonde sont transmises en permanence grâce à deux antennes faible gain. Pour stocker les données pendant le passage au périhélie, Parker Solar Probe possède de deux espaces de stockage redondants de 32Go.

Déroulement de la mission

Parker Solar Probe a été lancé en orbite à bord d’une Delta IV Heavy le 12 août 2018 à 9h31 CEST depuis le pas de tir SLC-37 de Cape Canaveral. Pour cette mission, les ingénieurs veulent faire passer la sonde très proche du Soleil et pour ce faire il faut un lanceur très puissant !! D’après Tory Bruno, PDG d’ULA, seule la Delta IV Heavy peut effectuer ce lancement. Effectivement, l’énergie caractéristique de cette mission est de 154km²/s², ce qui est énorme. Pour faire simple, la vitesse que doit atteindre Parker Solar Probe au moment de quitter l’influence de la Terre doit être supérieure de 12,4km/s à la vitesse de libération de la Terre (environ 11km/s). Au début, la sonde aurait dû être lancée à bord d’une Atlas V 551 équipée d’un troisième étage à ergol solide Star 48GVX qui aurait été développé spécifiquement pour cette mission et qui aurait eu une puissance 50% plus élevée au Star 48B habituel. Cet étage a été testé en début 2014 mais pour limiter les risques d’échec de la mission, il a été décidé de lancer la sonde avec une Delta IV Heavy et un étage Star 48B qui a déjà montré sa fiabilité à maintes reprises.

Sonde Parker Solar Probe lors de sa mise sous coiffe. Le troisième étage Star 38B est la boule grise entre les panneaux solaires et l’adaptateur de lancement. Crédits : NASA.

Six semaines après le lancement, la sonde atteindra pour la première fois Vénus afin de profiter de sa gravité pour descendre encore plus son périhélie. Son premier passage proche du Soleil aura lieu fin 2018 à 0,163 UA (36 rayons solaires) de notre étoile. Pendant les années suivantes, l’observatoire solaire repassera à six reprises proche de Vénus fin de diminuer encore et encore son périhélie (jusqu’à 0,044 UA soit 9,86 rayons solaires) ainsi que son aphélie qui descendra de 1 UA à 0,8 UA. La période orbitale va varier de 168 jours pour les premières orbites à 88 pour les dernières. Une orbite est décomposée en deux phases : la phase scientifique qui dure environ 11 jours qui se déroule quand la sonde est à moins de 0,25 UA du Soleil et la phase de croisière qui durera entre 158 et 77 jours. Lors de la phase scientifique, les panneaux solaires sont repliés, les communications se limitent aux commandes et à la télémétrie, les données sont stockées et aucune manœuvre avec les moteurs n’est réalisée. Une fois sortie de cette phase, les panneaux solaires sont redéployés mais il faudra attendre d’être à 0,56 UA pour déployer l’antenne parabolique à grand gain qui émettra les résultats des instruments en bande Ka. Ce sont les antennes paraboliques de 34m de diamètre du réseau Deep Space Network qui capteront ces résultats pendant des sessions de 10 heures par jour. Les survols de Vénus entraînent des activités spécifiques qui commencent 30 jours avant celui-ci et se terminent 10 jours après. Parmi ces activités, on trouve une ou deux corrections de trajectoire (TCM) grâce au système propulsif.

Animation de la trajectoire de Parker Solar Probe. Jaune = Soleil ; Vert = Mercure ; Cyan = Vénus ; Bleu = Terre ; Rose = Parker Solar Probe

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